Nouveaux délits revue de poésie vive

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Pour celles et ceux qui aiment sentir le vent sur leur visage et par là même sentir la vie, qui savent ouvrir leur yeux sur le monde et y voir encore du beau, du vivant, dans ce décor parfois trop abrupt. Pour celles et ceux qui au fond d’eux ont envie d’ouvrir les fenêtres et les portes …
Je vous invite à découvrir ou retrouver des carnets de poésie vive, les « Nouveaux Délits ». Vous les trouverez en commande dans le lien ci dessous. Mag
Une des solutions, peut-être, serait d’oser prendre le risque de la dégringolade sociale. Oser l’humiliation, oser être considérés comme des merdes, mais refuser radicalement d’être complices d’un système aussi arbitraire, stupide et mortifère que le nôtre, humains du XXIe s.

Faire autre chose, autrement, librement, modestement, même si ça veut dire être dans la galère. Trop nombreux sont ceux qui ont peur de chuter dans la pauvreté (la grosse tâche qui nous désigne comme honteux) et donc la plupart se taisent, ravalent, se bouchent les écoutilles, au pire ils deviennent désabusés et cyniques ou se cherchent des boucs émissaires sur lesquels faire refluer toutes leurs frustrations, mais ils continuent à faire des boulots pourris qui pourrissent la terre, leur vie, leur âme ; se rendent complices de ce qu’ils dénoncent même parfois, mais n’osent pas lâcher prise, dire non. Pour compenser, ils consomment, consomment, parce que c’est la seule récompense à leur résignation, leur compromission, la mort de leurs rêves interdits, consommer toujours plus.

On peut aller dans la rue autant qu’on voudra, mais tant qu’on n’osera pas être autrement, qu’on n’osera pas essayer autrement, vivre autrement, pas plus tard, ni demain, mais là, maintenant, immédiatement, en assumant le risque d’y perdre gros sur le plan matériel pour être en phase avec notre être profond, le plus authentique — un risque qui, tant qu’on sera si peu nombreux à le prendre, est un risque réel : celui d’y perdre gros sur le plan de la reconnaissance socioprofessionnelle, sur le plan des apparences pour la famille, les amis, les voisins, à ses propres yeux formatés par une idée de la réussite totalement biaisée… — tant qu’on n’osera pas ce pas, ce pas qui, en nombre, pourrait vraiment être le premier pas vers un nouveau monde ; tant qu’on n’osera pas dire « I quit », alors rien ne changera, tout empirera.

L’action qui porte à conséquence, c’est celle que l’on fait là où on est et en tant que nous-mêmes, individuellement, dans tous les aspects de notre vie : désobéir chaque fois que ce qu’on nous demande, nous impose, nous colle dessus, n’est pas juste, n’est pas viable, n’est pas défendable pour nous-mêmes comme pour les autres ici et loin ailleurs, pour la planète, pour les générations à venir.

Désobéir, c’est se réveiller, avoir ce courage-là car cette sacro-sainte avidité matérielle nous mène droit dans le mur pour le confort et la satisfaction (égoïste est un faible mot) d’une microminorité. La vraie solidarité, l’entraide, l’humanité, on les découvrira quand on aura franchi ce pas là, en nombre… Je suis pour le gilet troué et maintes fois reprisé, le gilet fait de bouts de tissus rapiécés comme un Boro japonais : la guenille magnifiée.
C.G.

AU SOMMAIRE
Délit de poésie :
֍ Estelle Cantala
֍ Majead At’Mahel : extraits de Sentimentale barbarie
֍ Gaël Guillarme : extraits d’Une étoile entre les dents
Délit d’enthousiasme en milieu hostile : Jacques Kindo
Délits courts : Michèle Krakowski vous fera sourire mais non sans inquiétude
Délit philosophico-félin : Extraits de Zébulon ou le chat de Maëlle Levacher
Résonance :
Zoartoïste (suivi de Contes Défaits en Forme de Liste de Courses) de Catherine Gil Alcala, éditions La Maison Brûlée, 2016.
Ne tournez pas la page de Seray Şahiner, traduit du turc par Ali Terzioğlu & Jocelyne Burkmann, Belleville éditions, 2018.

Délits d’(in)citations en pleine floraison insouciante tandis qu’un nouveau bulletin de complicité au fond en sortant dit que l’étau se resserre.

Illustrateur : Pierre Rosin
Vit près de Poitiers. Peintre à l’huile, en images numériques et en poésie. Ses lignes s’entremêlent, s’agrippent les unes aux autres et finissent par représenter un personnage. Parfois il s’y accroche des mots. La mise en forme, le passage à la couleur, sont réalisés sur ordinateur. Si le modèle obtenu s’y prête, il est transposé sur toile et peint traditionnellement à l’huile. Il expose ensemble ou séparément ses images et ses poèmes qu’il a regroupés dans deux recueils de poésie peinture : jardin doux et amers et courbure. Il a illustré plusieurs recueils de poésie. Ses poèmes paraissent en revue et un reste de beau pour le reste des jours suivi de je émigration a été édité chez À l’Index en fin 2018. On peut le lire dans le n°60 de la revue (avril 2018).

  Qui a fait le monde ?
Qui a fait le cygne et l’ours noir ?
Qui a fait la sauterelle ?
Je veux dire cette sauterelle-ci — celle qui a bondi hors de l’herbe,
celle qui mange du sucre au creux de ma main, qui bouge ses mandibules de gauche à droite, plutôt que de haut en bas  —  qui regarde autour d’elle avec ses énormes yeux compliqués.
La voilà qui lève ses pâles avant-bras et se nettoie soigneusement la tête.
La voilà qui déploie ses ailes, et s’envole au loin.
Je ne sais pas exactement ce qu’est une prière.
Mais je sais comment prêter attention, comment tomber dans l’herbe, comment m’agenouiller dans l’herbe, comment flâner et être comblée, comment errer à travers champs,
ce que j’ai fait tout au long de la journée.
Dis-moi, qu’aurais-je dû faire d’autre ?
Tout ne finit-il pas par mourir, trop rapidement ?
Dis-moi, qu’entends-tu faire de ton unique, sauvage et précieuse vie ?

Mary Oliver
(1935 – 2019)
in La journée d’été

Nouveaux Délits – Avril 2019 – ISSN : 1761-6530 – Dépôt légal : à parution – Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits – Coupable responsable : Cathy Garcia Canalès – Illustrateur : Pierre Rosin – Correcteur : Élisée Bec
http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com