OSONS LA FRATERNITÉ !
« Tous, ensemble, nous sommes bien plus grands que nous. C’est ce « plus grand » qu’il nous faut deviner. Qu’il nous faut invoquer ». (*)
Sommes-nous des bouées de sauvetage, des dames patronnesses, des « droitsdel’hommistes », ou pire encore, des fauteurs de troubles, des responsables de ce redoutable « appel d’air », bref, de naïfs et dangereux irresponsables ?
A vous de juger si le délit de solidarité « fait le jeu des passeurs » (dixit Macron le 27 juin à propos de l’ONG Life Line qui a refusé de ramener les 233 migrants à bord de son navire de secours aux garde-côtes libyens), et si le simple fait d’appliquer la Fraternité, pourtant inscrite sur le fronton de nos bâtiments publics, est un délit pour les citoyens français que nous sommes.
Même si, dans quelques bourgades du Lot, on peut lire des tracts du FN qui distillent peur et haine en parlant de « submersion migratoire », même si nous ne cessons de subir des mises en garde, des intimidations de la part des autorités gouvernementales, par le biais de déclarations publiques, d’arrestations et de poursuites pénales pour certains, nous sommes de plus en plus nombreuses et nombreux à souhaiter que notre pays, et notre territoire lotois, soient une terre d’accueil et de résistance, comme elle a pu l’être, pendant la guerre d’Espagne ou la dernière guerre mondiale, grâce à la détermination de ceux qui « bravant les risques encourus, ont incarné l’honneur de la France, les valeurs de justice, de tolérance et d’humanité » (**), ceux qui ont prouvé que même dans des situations d’intenses pressions, physique et psychologique, la résistance est possible.
Lors de la dernière cérémonie du 8 mai autour du monument aux morts de l’un de nos petits villages, le maire a terminé son discours d’hommage et de mémoire pour ceux qui ont subi les atrocités de la guerre, en présentant aux villageois deux nouveaux habitants, réfugiés, l’un Kurde Irakien, l’autre Soudanais, qui ont été contraints de fuir leur pays pour survivre, et a demandé à la population de leur réserver respect et hospitalité, en n’oubliant jamais ce que nos anciens ont subi.
L’histoire se répète-t-elle ? Pas exactement, bien sûr. Depuis ce temps de guerre mondiale il y a eu l’ONU, la Déclaration universelle des droits de l’homme, puis celle des droits de l’enfant, toutes sortes d’accords de paix prometteurs, mais il y a toujours et encore plus de massacres de par le monde, en Europe, en Asie, en Amérique latine, en Afrique, des massacres souvent armés par ceux-là mêmes qui font des déclarations de paix et de tolérance. Les droits fondamentaux annoncés dans les déclarations sont bafoués par ceux qui les ont ratifiés.
Faut-il compter sur les pouvoirs publics de ce monde pour protéger les peuples ? Pourquoi y’a-t-il tant d’ONG qui se créent et se mobilisent ? Pourquoi les bateaux humanitaires qui sauvent des migrants de la noyade sont-ils affrétés par la population civile et non par nos gouvernements ?
Ces questions sont lassantes à la fin ! Elles restent sans réponse, ne laissant qu’un amer sentiment d’impuissance pour chacun d’entre nous dont la conscience personnelle ne peut exister sans la conscience de l’état du monde. Cette conscience-là, libre de préjugés, ne peut se développer que dans la rencontre directe et individuelle avec ces réfugiés que nous ne voyons qu’en masses impersonnelles, à travers des images impressionnantes, parfois insupportables, révoltantes, certes, mais vides d’une réalité tangible, où l’autre devient une personne, comme nous.
Alors, n’acceptant pas cette situation d’expectative et de soumission, nous sommes un certain nombre à nous mobiliser, chacune et chacun à notre façon, tout simplement parce que nous ne pourrions pas vivre autrement et que nous n’avons d’ordre à recevoir de personne. Parce que Mariama, Shafik et tous les autres ont atterri ici comme des étoiles venues du ciel pour nous éclairer, parce que nous aimons ce tout petit voyage pourtant immense fait d’un pas, d’un geste, d’un mot, d’un regard, d’un sourire, qui nous emmène vers l’autre, vers d’autres pays et d’autres coutumes, parce que nous sommes contents de donner et de recevoir, d’échanger nos diversités et de mettre en œuvre collectivement ce qui va aider à faire grandir chacun d’entre nous : Claudine, Adrien, au Jardin Bourian, Geneviève avec ses chevaux et les enfants du CADA, Martine, Brigitte, Fred, Sophie, Angel, Monique et tant d’autres, tout un réseau qui s’amplifie pour l’aide à l’apprentissage du français, aux démarches administratives, pour l’intégration des jeunes dans des équipes sportives, pour trouver des logements, des stages et des boulots chez les artisans, commerçants et entreprises locales.
Ce n’est pas toujours facile, c’est parfois un vrai parcours du combattant, et aucun d’entre nous ne sait quel sort sera réservé aux uns et aux autres : s’ils sont reconnus « réfugiés » et obtiennent des titres de séjour, pourront-ils faire venir leur famille ? Pourront-ils rester dans le Lot et trouver du travail ? Et s’ils sont déboutés ? Devront-ils se cacher ? Retourner près des grandes villes dans des campements et la clandestinité ? Retourner dans le pays où ils étaient persécutés ? Comment les soutiendrons-nous, toutes celles et ceux qui font maintenant partie de notre vie, toutes celles et ceux qui disent avoir trouvé ici comme une grande famille, que vont devenir tous ces enfants qui sont scolarisés, qui se sont fait des copines et des copains, des parrains et des marraines ?
Nous sommes maintenant attachés les uns aux autres, et c’est bien comme ça. Ensemble, nous sommes en train de construire quelque chose d’indéfectible, qui nous donnera de la force pour résister, continuer à soutenir ces jeunes et ces familles, car les travailleurs sociaux des dispositifs d’accueil n’auront plus les moyens de protéger ceux qu’ils ont accompagnés le temps de leur hébergement « officiel », une fois les délais accordés dépassés…
Nous devons nous opposer aux directives préfectorales qui expulsent à tout-va sans tenir compte de la situation particulière de chaque être, et qui ne cesseront de le faire que sous une forte et massive détermination de notre part.
Nous devons pousser les élus qui pensent comme nous à s’engager concrètement.
Nous devons continuer de travailler en collectifs et avec les ONG comme la CIMADE, le Secours Catholique, ATTAC, la Ligue des Droits de l’Homme…
Pour devenir plus forts et plus intelligents, nous pouvons échanger expériences et témoignages, propositions et projets, tous précieux, tous instructifs, à condition de rester ouverts et généreux : RENDONS VISIBLE LE PEUPLE DE L’ACCUEIL.
Voici un premier témoignage (***), bienvenue à tous les suivants !
Texte et photos : Nanou
(*) Reprise du titre d’un ouvrage collectif publié sous la direction de Patrick Chamoiseau et Michel Le Bris, avec le soutien du festival Étonnants Voyageurs.
(**) Extrait d’une inscription sur une stèle au Panthéon en hommage aux Justes, pour la plupart restés anonymes, ayant caché et soutenu des Juifs sous l’Occupation.
(***) Témoignage de Claudine Hébrard.