De l’extractivisme et la carrière du Frau
Le projet d’agrandissement de la carrière du Frau sur la commune de Lavercantière en Bouriane pose plusieurs questions, d’abord et d’une manière générale sur l’extractivisme et ensuite sur la destruction de l’écosystème des parcelles déjà exploitées par la multinationale Imérys.
Avec la publication de cet article, le CuLOTté lance une tribune qui espère recueillir les avis des différentes parties en présence, détracteurs ou opposants, comme l’Association pour la Préservation des Sites Menacés en Bouriane (APSMB), ainsi que ceux des habitants favorables au maintien de l’activité de cette carrière.
La position de la rédaction du CuLOTté étant clairement contre l’extractivisme à outrance et pour la préservation de l’environnement, cet article n’engage que leurs auteurs. Les lecteurs sachant lire entre ses lignes apprécieront, ou pas, son style et son humour.
Pour toute info sur la lutte pour la préservation du frau, et les actions de l’APSMB c’est par ici
Frau fuyant et autres billevesées
par Joël « Bill » Serra et KoKo
A la mémoire de mon très cher ami Laurent « Bluboux » Cougnoux disparu corps et biens pendant une tempête en terre espagnole.
« Les contradictions au sein du peuple ne sont pas de nature antagoniste » ( Mao Tse Toung)
Ben voyons !!! ( Joël Bill Serra)
Pour rendre caduques toutes interprétations idiotes-abusives, une déclaration liminaire s’impose :
toutes les oppositions aux extensions de carrières sont légitimes et nécessaires, comme toutes les autres résistances aux dégradations environnementales ou sociales, quoiqu’une telle proposition puisse presque s’apparenter à la disparition de l’humanité comme espèce auto-proclamée dominante, « et créée à l’image de Dieu » pour certains. En effet, depuis la nuit des temps, l’humanité a exploité pour survivre, et de toutes les manières possibles, la nature . La recherche historique a prouvé que toutes ces exploitations se sont achevées par des catastrophes écologiques avec pour conséquence des crises sociales et politiques. Les pierres de nos belles maisons ont été extraites de carrières, nos vêtements avant d’être portés étaient animaux, végétaux, ou le pire, sous-produits pétroliers, et n’évoquons qu’en passant nos modes de chauffage et de transport.
Outre que toutes ces réalisations issues du génie humain (c’est comme ça qu’on dit) détruisent la planète, il ne faudrait pas perdre de vue qu’elles sont le fruit d’une activité humaine fort prisée de l’espèce depuis le néolithique : le Travail, totalement aliéné, certes, mais malheureusement nécessaire à l’impératif de sa propre survie. Bref Ducon, dans cette société de merde pour bouffer, il faut aller au chagrin quitte à y perdre toute humanité ou en crever. Et c’est là où le bât du Frau blesse parce que les galets ne jaillissent pas tout seuls du sol et qu’ils ont aussi une valeur d’usage.
Afin de procéder à cette extraction, des gens ont été embauchés . On appelle ça des ouvriers, mais si, vous savez bien, ces machins de l’ancien monde avec leurs mains sales, leurs gueules de travers, l’encéphale plat et avec des fins de mois si merdeuses qu’ils ne rêvent que de bouffer les saloperies des grandes surfaces, des pue-la-sueur quoi !, qui plus est, ils ont des familles et cette carrière maudite en fait vivre trente et il est de notoriété publique qu’il suffit de se baisser, dans le département du Lot, pour trouver du boulot !
Le pire, c’est que ces travailleurs sont même relativement satisfaits de chagriner dans leur trou. Leur salaire ? presque le double de la moyenne lotoise ; leurs conditions de travail ? comparées à la fange des chantiers locaux presque un paradis ; la sécurité du personnel ? assurée, c’est une consigne impérative ; quant au trou, il est rebouché une fois l’exploitation terminée et replanté. Certes la disparition du sous-sol original qui conditionnait un certain type de flore est irréversible et oblige à une plantation d’autres espèces, ce sont des chênes et des châtaigners qui sont introduits et non pas des conifères à pousse rapide pour une exploitation industrielle. Mais il ne faut pas être dupe, si Eymeris fait montre d’un tel zèle à éviter les conflits sociaux, aussi bien qu’à respecter les règlements environnementaux, ce n’est pas par philanthropie mais bien parce qu’elle subit une forte pression de la part des opposants et ne peut donc pas se permettre un seul faux pas.
Là où tout devient absolument merveilleux, c’est l’usage industriel de ces galets et la composition sociale majoritaire des opposants. Les galets du Frau ou leur équivalent, tout le monde en détient chez lui ou dans sa poche puisqu’ils participent de la fabrication des bip-bips qui nous rendent la vie « si faciles » et dont plus personne ne pourrait seulement envisager de se priver. C’est-à-dire, nos portables, tablettes et autres « Zordonnateurs », gentils objets transitionnels dans lesquels chacun investit sa libido à défaut d’avoir un rapport réel aux autres : « Ensemble mais séparés » (Raoul Vaneigem). Donc, quand chaque zombie post-moderne (pour ne pas dire pré-barbare) s’hypnotise devant son écran, c’est un concentré de Frau qu’il consomme ; et comme pour les nuages de Tchernobyl ou de Fukushima personne n’y échappe, même les plus rétifs à la consommation marchande et à ses diktats.
Les opposants à la carrière appartiennent majoritairement ou sont culturellement proches d’une couche sociale propre aux pays capitalistes centraux que l’on dénomme la petite bourgeoisie intellectuelle (PBI en charabia sociologique). Cette couche sociale a pour fonction principale de réguler, à tous les niveaux et dans tous les secteurs, le fonctionnement étatique, et donc participe à sa reproduction. Une grande majorité ont une sensibilité de gauche et écologique et prônent un capitalisme vert à visage humain qui, inconsciemment, leur garantirait la pérennité de leurs avantages qui s’effritent à mesure que le système se délite. Ces illusions, produit idéologique
de leurs positions intermédiaires dans ce mode de production, les empêchent de comprendre que toutes les solutions réformistes s’avèrent inopérantes et que seul un changement radical des
paradigmes pourrait inverser le cours de la catastrophe sociale et écologique. Ces mêmes conditions objectives font qu’ils sont coupés des dures réalités que subissent d’autres couches sociales moins favorisées, d’autant que cette conscience environnementale et sociétale s’accommode fort bien d’une consommation de bips-bips dont ils sont les principaux utilisateurs. Même si certains d’entre eux sont à la pointe d’initiatives pour tenter de vivre différemment au quotidien et luttent pour l’amélioration de leur vie, ce ne sont, au mieux, que des solutions individuelles et à court terme, car force est de constater l’étau dans lequel nous enferme tous ce mode de production et toutes les contradictions auxquelles nous nous heurtons constamment.
Si d’aventure, en ce qui concerne l’extension des carrières du Frau, le projet était retoqué, ce serait catastrophique pour les salariés du site. En effet, malgré pour certains, une conscience des enjeux écologiques, ils ne peuvent se permettre de perdre leur emploi dans un territoire sinistré. Rappelons que ce serait trente familles qui se retrouveraient sans revenus. Gageons, sans en être certain, que si cela devait advenir, ils porteraient majoritairement leurs suffrages, par pur ressentiment, sur la Marine et ses affidés. Qui, en toute conscience de toutes les conséquences de la fermeture éventuelle de la carrière, serait prêt à les assumer publiquement, sans parler du courage à le leur exprimer en face ?
A l’époque du capitalisme sénile prêt à tout pour sauver ses taux de profit grandement érodés, quitte à foutre en l’air la planète et à crever avec elle, il serait grand temps que s’établissent des dialogues réels entre résistants à cette mort-qui-marche. Et cela ne passe ni par les zordonnateurs ni par les pseudos amitiés névrotiques de Face de bouk, mais reste à inventer.
PS : Je ne suis pas responsable de ce que j’écris, seule la direction peut en être à blâmer.