Fraternité et solidarité: Nos actions, nos limites

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  par Anne et Mag

La rentrée passée, nous voulions faire un point sur la situation des demandeurs d’asile dans le Lot.
Anne, de l’équipe du CuLOTté, étant impliquée sur cette question depuis longtemps et membre du collectif « Soutien aux migrants » de Gourdon, je lui ai demandé de prendre un temps « hors du terrain » pour nous expliquer où en est la situation en ce début d’Octobre.

Peux-tu, s’il te plaît, nous rappeler combien de personnes ont été accueillies dans le Lot et comment sont-elles arrivées jusqu’ici ?

Je ne peux pas te dire le chiffre exact pour le département, mais au CADA de Gourdon cela doit représenter environ 60 personnes.

Pour rappel, le CADA est le Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile, les personnes accueillies sont en attente de l’étude de leur dossier de demande d’asile par l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides). Les centres, comme ceux du Lot, ont été ouverts en province pour désengorger les grandes villes, notamment Paris. Celles et ceux qui sont arrivé(e)s chez nous, ne l’ont pas choisi.

Peux-tu nous expliquer ce qu’il se passe pour eux, une fois arrivés au CADA ?

Le temps de l’étude de leur demande d’asile, ils sont hébergés et perçoivent une aide pour assurer les besoins de première nécessité. Après, le quotidien est différent d’un endroit à l’autre, je peux parler de celui de Gourdon, il faudrait faire le point avec les autres, mais ce qui est semblable partout c’est l’attente anxieuse de la convocation, et la préparation de l’exposé de la situation de chacun qui devra être rapide et concis, le jour du rendez-vous à Paris, devant un commissaire de l’OFPRA, très rodé à cet exercice.

C’est-à-dire ?

Et bien certains demandeurs d’asile ont du mal à expliquer et détailler les raisons de leur demande, car on exige d’eux une « mise à nu » souvent difficile à réaliser, suite à des vécus très douloureux, et souvent chaotiques. Plusieurs d’entre eux, pensant que les difficultés de leur vie ne sont pas exposables ou crédibles, modifient ou taisent une partie de leur histoire, ou n’arrivent pas à l’exprimer correctement et dans l’ordre, en étant en plus parfois très mal traduits : face à cela, l’OFPRA met leur parole en doute (avec des arguments qui sont toujours à peu près les mêmes : manque de preuves, pas assez de détails, discours contradictoires …) et leur oppose un refus.

Que font-ils lorsqu’ils reçoivent un refus de l’OFPRA ?

Ils ont alors la possibilité de déposer un recours auprès de la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) en demandant l’assistance d’un avocat conseillé généralement par le CADA, avec une aide juridictionnelle et l’aide d’un traducteur s’ils ne sont pas francophones. La CNDA est composée de plusieurs juges et est ouverte au public.

En général, ils voient l’avocat désigné juste avant l’audience, puisque tout se passe à Paris (payer les frais d’un avocat local qui se rendrait à Paris pour l’audience n’est pas pris en charge) et c’est la galère pour trouver des traducteurs pendant la préparation du dossier avec l’avocat, tout cela par téléphone !

Si la CNDA rejette le recours, ils reçoivent une Obligation de Quitter le Territoire (OQTF), assortie, plus ou moins rapidement selon les périodes et les départements, d’une « assignation à résidence », c’est-à-dire une obligation de « pointer » régulièrement, au commissariat de police ou à la gendarmerie.

Qu’en est-il pour celles et ceux accueillis à Gourdon ?

Pour l’instant une quinzaine de réponses positives et une dizaine de réponses négatives qui ont fait l’objet d’un recours à la CNDA.

Il y a des familles concernées, sont-elles prioritaires ?

Pas du tout. Sur quatre familles accueillies, une seule a obtenu pour l’instant une « protection temporaire subsidiaire ». D’autres ont fait des recours, certaines ont été déboutées de ce recours, C’est plutôt le pays d’origine qui fait la différence, voir certaines régions des pays d’origine. Les critères sont très aléatoires : pays en guerre contre pays sûr (c’est à dire capable de protéger ses ressortissants de la discrimination, de la mafia, des violences homophobes et à l’égard des femmes…), Mais cela dépend surtout des chiffres imposés par le gouvernement et des ordres donnés par le ministère de l’intérieur, et de la politique européenne.

Il me semblait que les enfants sont scolarisés ?

Oui, mais cela ne change pas grand-chose. Les enfants, ayant tous très rapidement appris la langue française et bien intégrés, font souvent preuve d’une maturité surprenante, conscients, même à l’âge de 10 ans, que bien qu’ils se soient fait des amis et se sentent bien ici, ils ne pourront choisir que ce qu’on leur ordonnera. Ils savent très bien que leur situation de personne « protégée » est éphémère… Le droit d’asile lui même dure 10 ans. A renouveler. Ou à réexaminer à la majorité. Rien n’est « pour toujours ».

Certaines situations sont difficiles à comprendre, pour exemple, des familles vivent à Cahors depuis plusieurs années avec des OQTF et des assignations à résidence, sans pouvoir travailler, ni obtenir de logement « officiel », les enfants continuant d’aller à l’école.

Mais où vont-ils lorsqu’ils doivent partir ?

Cela dépend, s’ils ne sont pas « dublinés » (NDA ; c’est-à-dire que la demande d’asile doit être formulée dans le premier pays d’Europe où ils ont été contrôlés et donc « répertoriés » et où ils doivent donc retourner si ce contrôle a eu lieu il y a moins de six mois), ils doivent repartir dans leur pays d’origine : l’état doit alors négocier les conditions de rapatriement avec le pays. C’est, tu imagines bien, souvent très compliqué.
Dans ces situations, rarement les exilés acceptent « l’aide au retour », ils vont vers les grandes villes où ils espèrent passer inaperçus, être hébergés par le 115 ou des associations caritatives, trouver des boulots au noir, mais ils peuvent aussi se retrouver dans des centres de rétention ou carrément en prison, en attendant d’être expulsés.

Sur Gourdon, il y a donc certains réfugiés, dont une famille, qui peuvent rester, même si c’est temporaire : un souffle pour eux ?

Oui et non, car dans ce cas-là, ils ne peuvent plus rester au CADA, ni bénéficier de l’aide financière allouée jusque-là, destinée aux demandeurs d’asile, car ils entrent dans notre droit commun (pôle emploi, sécu, CAF, APL, etc), et les démarches sont à nouveau un parcours du combattant.

Ils doivent se prendre en charge, entreprendre des démarches et faire valoir leurs droits, trouver un travail, un logement. La plupart ne maîtrisant pas encore la langue française, encore moins la langue écrite de l’administration ! C’est là que le rôle de notre réseau devient important.

Qui peut les aider ?

Tout le monde. C’est d’ailleurs là tout l’intérêt d’un collectif comme celui de Gourdon. Seul, la limite de l’aide qu’il est possible d’apporter est vite atteinte, mais à plusieurs il y a une véritable complémentarité et un soutien mutuel.
La question de l’individuel et du collectif se retrouve d’ailleurs à plusieurs niveaux, tant du côté des exilés que de ceux qui veulent aider.

Au sein du collectif, où chacun est indépendant, nous engageons aussi bien des actions individuelles que collectives. Chaque semaine un point est fait ensemble, de façon spontanée et informelle, pour trouver des réponses à des questions, des situations et un vrai soutien moral, car il est difficile de ne pas « trop » s’impliquer personnellement et devoir reconnaître nos limites, voire notre impuissance face à la machine administrative. Individuellement c’est pareil, chacun agit différemment, avec sa conscience et le temps dont il dispose.

Tu parles d’implication personnelle, mais n’est-ce pas là aussi un des points essentiels de votre, de ton action ? Sortir d’un regard de masse des « migrants » pour aller à la rencontre de gens, de personnes ?

Mais bien sûr ! et c’est là le cœur de notre engagement ! La découverte et la rencontre avec l’autre, avec des personnalités qui font que l’on accroche plus avec l’un ou l’autre : la vraie vie !!

Aujourd’hui nous tissons des liens de sympathie, d’amitié, nous apprenons à nous connaître, et c’est seulement à travers ces liens humains que peut se faire ce que l’on nomme « l’intégration », que je préfère nommer « accueil ».
Oui il y a « la France profonde », ceux qui ont peur et votent Le Pen, ceux qui sont bercés par « l’info toxique » des mass médias qui engendrent la méfiance et la peur de « l’étranger », mais quand ils découvrent une personne et son histoire cela peut changer : car le regard sur des « masses » s’est transformé en regard sur un être humain.

Aujourd’hui qu’est-ce qui est proposé comme aide par les personnes du collectif ou d’autres ?

Je voudrais commencer par la complexité de l’aide que nous pouvons apporter le long du parcours, depuis l’arrivée au CADA jusqu’à la sortie…

Pendant la « prise en charge » des demandeurs d’asile par cette structure, il est très délicat d’intervenir, sans créer des tensions avec les travailleurs sociaux qui craignent que les « bénévoles » empiètent sur leur travail et créent des confusions parmi les personnes hébergées. Il est vrai que nous n’avons absolument pas à nous mêler de tout ce qui est administratif et juridique pendant cette prise en charge par l’État, via les services de la préfecture. Mais le problème, c’est qu’il est important de tisser des liens et de pouvoir anticiper un peu ce qui va se passer au moment crucial de la sortie du CADA, que la personne soit régularisée ou déboutée. Quelle que soit l’issue, les liens tissés avec le collectif et la population environnante vont être déterminants.

Même si il y a des cours obligatoires de français proposés par l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’intégration), à raison de quelques heures par semaine, à Cahors, même si un dispositif officiel (état et département) et expérimental (Accelair 46) vient d’être mis en place dans le Lot, pour accompagner pendant 2 ans les BPI (Bénéficiaires d’une Protection Internationale !), sous forme de contrat, et qui doit permettre à ces personnes de bénéficier de leurs droits, de trouver un logement et un emploi, cela, dans la réalité, est tout à fait insuffisant. On le voit bien quand on se confronte aux lenteurs voire refus de coopérer de la CAF ou autres institutions départementales … Ce qui marche d’abord, c’est la solidarité et nos réseaux locaux, l’aide de certains travailleurs sociaux bienveillants, que ce soit pour trouver un logement, une formation ou un travail… Et ça marche surtout quand on a eu le temps, pendant la période CADA, de mettre en place des actions concrètes, comme avant tout l’apprentissage du français.

Dans le collectif il y a donc celles et ceux qui donnent des cours de français, régulièrement, au moins une fois par semaine, (dans des lieux différents, associatifs ou municipaux à Gourdon), ou même au café, de l’aide au CV et au classement des papiers, celles qui accompagnent dans les multiples démarches administratives, ceux qui proposent des activités sportives, qui font de l’aide aux devoirs, et aussi celles et ceux qui proposent des activités plus ponctuelles comme des sorties, ou tout simplement et spontanément des rencontres chez eux, en tissant ainsi des liens plus intimes.

Nous passons aussi par les réseaux sociaux pour communiquer rapidement, tous ensemble, collectif et exilés, sur des informations, des rendez-vous, mais aussi des clins d’œil, des blagues… On a créé un groupe « cours de français ». Ce qui est chouette dans cet outil, c’est que chacun y a un accès libre. Tu vois les messages : (Anne me montre son téléphone), rien que cela montre les progrès incroyables en français et la dynamique du groupe.

Nous avons aussi organisé des fêtes, autour de la galette des rois, de Pâques, de l’Aïd, il y a eu au printemps un « festisolidaire » à Gindou, qui a rapporté 1000 euros, destinés à renflouer notre petite cagnotte qui sert à payer des choses qui ne sont pas prises en charge par le CADA, comme les cartes téléphoniques, des transports… Il y a aussi une cagnotte au café sans alcool La Fabrique, pour payer les consommations des réfugiés qui viennent s’y retrouver ou nous retrouver pour les cours de français.

Le soutien financier apporté par ceux qui le peuvent est très important. Notamment celui qui est apporté par le Secours Catholique, qui parfois donne des sommes assez importantes pour un voyage en train, une note d’électricité, un loyer, etc. et qui est très présent à Gourdon, avec des permanences et des repas deux fois par semaine, comme écoute et soutien auprès des plus fragiles, et pas seulement les réfugiés…

Tu parles du Secours Catholique, mais y-a-t-il d’autres associations partie prenante de cette solidarité ?

Oui, bien sûr : il y a le Secours Populaire où l’on peut aller chercher des vêtements et des accessoires indispensables de la vie quotidienne, les Restos du Cœur avec des distributions de nourriture chaque semaine, la LDH dont les membres s’intègrent dans les collectifs, et bien sûr La Cimade, à Cahors, dont l’aide est extrêmement précieuse sur le plan juridique, mais aussi pour les informations que nous avons sur la situation nationale, pour sa réactivité auprès des institutions officielles locales, et pour sa pugnacité !

A ce jour qu’est-ce qui te paraît primordial ?

C’est la question de l’humanité, la question de comment être plus encore que comment faire, et celle du réseau local , qui permet à tous de rencontrer de nouvelles personnes, d’expérimenter, et d’avancer ensemble.
Mais l’autre point essentiel, c’est de rester lucide et d’avoir une vision politique : il faut que les lois changent, il faut se battre pour que tous les réfugiés qui veulent rester en France obtiennent des cartes de séjour et puissent vivre dans des conditions décentes. Il faut sensibiliser et informer sans relâche en organisant des rencontres et des débats avec des témoignages.

Il y a la démarche des États Généraux des Migrations qui va dans ce sens, il y a des appels, des pétitions qui circulent, des personnalités qui s’expriment, et c’est tant mieux.

Ce qui est difficile et vraiment douloureux, c’est quand, concrètement, avec telle ou telle famille, on est devant une impasse, qu’on est impuissant et qu’on a honte de ce qui se passe en France…

 

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